BLIND
de Eskil Vogt (Ellen Dorrit Petersen, Henrik Rafaelsen, Vera Vitali)
Les non-voyants au cinéma, c’est une passionnante histoire.
Citons, pour mémoire, l’inépuisable série des « ZATOICHI », films de sabre japonais dans lesquels le héros, samouraï atteint de cécité, rend la justice à sa manière.
Il y eût l’inénarrable « VENGEANCE AVEUGLE » de Phillip Noyce avec un Rutger Hauer, vétéran du Vietnam où il fût gravement blessé aux yeux, devenu expert en maniement des armes blanches, nous régalant de dialogues savoureux.
Et comment ne pas mentionner au moins trois joyaux dans le genre : « SEULE DANS LA NUIT » de Terence Young qui mettait Audrey Hepburn, isolée dans son appartement, au prise avec des traficants de drogue, « TERREUR AVEUGLE » du grand Richard Fleischer qui opposait Mia Farrow à un tueur dans une maison de campagne et « LE CHAT À NEUF QUEUES » de Dario Argento avec Karl Malden enquêtant sur d’atroces meurtres commis, accompagné d’une musique impeccable d’Ennio Morricone.
Voici maintenant « BLIND », en provenance de Norvège.
Ayant perdu la vue, Ingrid reste cloitrée chez elle, se souvient à quoi ressemble le monde extérieur et s’interroge sur l’emploi du temps de son époux. Einar, célibataire, est accro au porno sur Internet et voudrait rencontrer l’âme soeur. Elin, une jeune femme venant de divorcer, tente de reconstruire sa vie…
Eskil Vogt est un ancien élève de la Fémis (anciennement l’IDHEC) et un des rares cas intéressants à en être sorti récemment, en espérant qu’il puisse perdurer qualitativement (Regarder François Ozon, lui aussi issu de cette prestigieuse école, cela a donné dernièrement les ratés « JEUNE & JOLIE », et « UNE NOUVELLE AMIE »).
Oeuvrant surtout jusqu’alors comme scénariste (le très bon « OSLO, 31 AOÛT » de Joachim Trier), Vogt, ici, pour ses débuts derrière la caméra, n’emprunte pas la voie de la facilité en se débarassant de toute narration classique et livre un drame bouleversant sur la solitude des êtres et leurs fantasmes.
Nous perdant sans cesse entre rêve et réalité, de façon jousissive et maîtrisée, jusqu’à un dénouement fort habile, notre nordique paie son tribut à la Nouvelle-Vague de François Truffaut, à Brian de Palma, sait utiliser la musique habilement pour souligner son propos et peut compter sur de solides interprètes, la diaphane Ellen Dorrit Petersen en tête.
Ajoutons-y la belle photo de Thimios Bakatakis, chef opérateur grec qui fait des merveilles chez le chef de file contemporain du septième art hellénique, Yorgos Lanthimos («CANINE »).
Sensuelle, sensorielle, « BLIND », une oeuvre magistrale.
CONNASSE, PRINCESSE DES COEURS
de Eloïse Lang et Noémie Saglio (Camille Cottin, Anthony Hickling, Stéphane Bern)
Au départ une mini-série de Canal Plus à succès.
Aujourd’hui, une version longue à destination des salles.
Camilla, la trentaine, parisienne, conne intégrale, imbue d’elle-même, se rend compte que sa vie est un désastre. Aussi, pour y remédier et assurer son avenir, elle entreprend de se marier avec une tête couronnéee, en l’occurence le prince Harry (Henry de Galles). Ses valises faites, elle débarque en Angleterre…
« CONNASSE, PRINCESSE DES COEURS », malgré des teasers alléchants, est une déception.
Certes, on sourit quelques fois lors d’une poignée de situations ubuesques mais, sur la longueur, cette comédie ne tient pas la distance et tombe dans l’écueil habituel propre à cet exercice : une succession de sketches censés former un tout mais bien trop décousu au niveau du rythme et des intentions de départ.
Et ce en dépit de tout l’abattage dont fait preuve l’espiègle Camille Cottin.
Au rugby, on parlerait d’essai non transformé.
NOS FEMMES
de Richard Berry (Daniel Auteuil, Richard Berry, Thierry Lhermitte)
Richard Berry, acteur, globalement oui.
Cinéaste, ça dépend.
Avec « NOS FEMMES », il transpose une pièce d’Eric Assous qu’il dirigeait déjà au Théâtre de Paris tout en jouant dedans.
Amis depuis 35 ans, Max, Paul et Simon ont réussi leur vie professionnelle et se réunissent régulièrement. Au cours d’une de leur soirée, l’un d’eux arrive en retard et annonce aux deux autres qu’il vient de tuer sa femme…
Entre un Daniel Auteuil s’escrimant et ressemblant de plus en plus à Depardieu (son bide !), un Berry suave et un Lhermitte déjanté, force est de reconnaître un certain plaisir à regarder évoluer le trio, cabotinant.
On ressent un peu trop la partition de boulevard filmé et une esthétique rappelant, surtout à la fin, le pire des pub NESPRESSO, mais l’ensemble n’est pas vraiment désagréable avec un plateau repas sur les genoux.
En concurrence directe avec « MES AMIS », la guerre des seniors va faire rage.
OUIJA
de Stiles White (Olivia Cooke, Ana Coto, Darren Kagasoff)
Soit deux pouffes qui, quand elles étaient petites, jouaient avec une planche Ouija. Des années après, l’une recommence et meurt à cause d’un esprit belliqueux. L’autre, la survivante, va entrainer des amis dans un voyage, forcément, sans retour…
Hormis ne rien amener de novateur à la thématique du paranormal (cela ne serait pas trop grave si il n’y avait que ça), ce produit sans saveur, moche, aux acteurs grotesques, est IN-SU-POR-TA-BLE pour tout amateur de fantastique qui se respecte un tant soit peu (et ce n’est pas avec le consternant « PYRAMIDE » dont je vous parlerai la semaine prochaine que cela va s’arranger).
Michael Bay (« ARMAGEDDON », la saga des « TRANSFORMERS ») ne réalise pas que des daubes, il en produit également, et quelque soit la sauce utilisée, cela reste indigeste.
Le DVD de la semaine : « THE BIG EASY – LE FLIC DE MON COEUR »
de Jim McBride / SIDONIS-CALYSTA
Je vous ai déjà répété tout le bien (et un peu le mal) que les années 80 ont apporté au cinoche.
On ne se lasse pas de redécouvrir des métrages passés inaperçus à l’époque, ou bien devenus cultes mais difficilement visibles.
Loué soit donc SIDONIS-CALYSTA, qui outre d’exhumer, en DVD, plein de westerns des fifities, des oubliés de la science-fiction, des perles noires, et après le formidable « CUTTER’S WAY – LA BLESSURE » de Ivan Passer, nous offre le superbe « THE BIG EASY – LE FLIC DE MON COEUR » de Jim McBride.
Curieuse carrière que celle de McBride.
Débutant la mise en scène à la fin des années 60 avec des projets fauchés et indépendants, proche du documentaire (« LE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN ») où il était aussi monteur et scénariste, l’ami Jim donna dans l’anticipation avec l’étrange « GLEN AND RANDA » sur deux adolescents survivants d’un cataclysme nucléaire avant de frapper un grand coup en 1983 avec « A BOUT DE SOUFFLE MADE IN USA », remake du film de Jean-Luc Godard qui fournissait là à Richard Gere un de ses plus rôles les plus mémorables.
Vint ensuite le thriller qui nous intéresse présentement.
Remy McSwain, lieutenant à la brigade chargée des Homicides de la Nouvelle-Orléans, ne crachant pas sur un pot-de-vin occasionnel, rencontre Anne Osborne, une assistante du procureur en lutte à la corruption dans la police. Tous deux se trouveront plongés dans une sombre affaire qui s’apparente à un réglement de comptes entre bandes rivales…
Rarement l’ambiance de la plus grande cité de la Louisiane aura été aussi bien captée à l’écran (ne surtout pas me mentionner l’affreuse version de « BAD LIEUTENANT » par Werner Herzog, sinon je me transforme en montre tout vert et comme « AVENGERS 2 » est encore en salle…).
En la rendant lumineuse à souhait, évitant le côté « marais fétides» si galvaudé, l’auteur du sympathique « GREAT BALLS OF FIRE! » sur la vie de Jerry Lee Lewis sublime le versant pittoresque de New-Orléans avec ses décors et ses accents particuliers.
Dennis Quaid et Ellen Barkin n’ont jamais été aussi beaux. Nous sommes en 1986. Lui, alors bientôt à l’affiche du génial « L’AVENTURE INTÉRIEURE » de Joe Dante, elle, explosant sous peu au côté d’Al Pacino pour « MÉLODIE POUR UN MEURTRE ».
Copie proche de la perfection, bonus pertinent surtout celui de François Guérif, spécialiste es polar. Un indispensable.
Autre parution à noter de cet estimable éditeur, « LA COURSE AU SOLEIL », datant de 1956.
Katie (Greer), une reporter d’un magazine people américain est à la recherche de Mike Latimer (Widmark), un écrivain à succès qui a disparu du jour au lendemain en Amérique Centrale. Le retrouvant, elle devra affronter, à ses côtés, deux anciens criminels, un fasciste anglais et un nazi…
Exécutée par un pilier de l’industrie britannique, Roy Boulting, souvent en association avec son frère jumeau John (le plus doué) et tirée de la nouvelle de trente pages de Richard Connell, THE MOST DANGEROUS GAME aka LA CHASSE DU COMTE ZAROFF, déjà retranscrit sur pellicule en 1932 par Ernest B.Schoedsack, cette nouvelle lecture, plus fidèle, est plaisante à souhait.
Richard Widmark est toujours aussi épatant, Jane Greer (« LA GRIFFE DU PASSÉ ») attrayante, les méchants campés par Trevor Howard et Peter Van Eyck assurent pleinement et la jungle dépaysante.
Que demander de plus, si ce n’est encore, encore, encore, encore, encore, encore…