[Interview groupée]
Tu as tourné dans un documentaire ?
Oui, c’est vrai qu’il nous arrive de faire des petits documentaires, histoire de mettre un coup de pied dans la fourmilière. L’image marche parfois mieux que les chansons. Ce doc là « Un autre monde est possible » fait partie de l’album sur lequel il y a un CD et un DVD. Ca me tenait à cœur d’étoffer le propos avec la voix de plein de gens un peu partout dans le monde, pour montrer qu’on est nombreux et connectés malgré les différences de cultures.
Et justement tu le vois comment, toi, cet autre monde ?
Déjà je ne le vois pas que dans mon cerveau, c’est quelque chose de commun, on fait tous partie du changement. Pour moi c’est important d’être en harmonie avec la planète et avec nous-mêmes, essayer de construire à l’horizontal et de créer de belles choses. Je ne suis pas non plus une dictatrice mais il y a des choses que l’on doit remettre en question aujourd’hui, par rapport à la Terre, à l’autre.
Marseille, capitale de la culture, tu as écris un morceau qui s’appelle « Marseille, capitale de la rupture »…
C’est un prétexte politique en fait, comment instrumentaliser la culture pour refaire la ville, virer les Marseillais, gentrifier le centre ville, etc. Mais ce n’est pas fait pour la culture locale, ça l’écrase en fait.
Tu as écris un autre morceau qui s’appelle « Indignados », un hommage à Stéphane Heissel : quel constat fais-tu de ce type de lutte ?
Stéphane Heissel m’a beaucoup touchée. Ca prouve que même à 96 ans tu peux encore mettre un coup de pied dans la fourmilière. Après, pour moi, ce n’est que le début d’une manière de lutter. C’est la première fois que les gens sortent autant dans la rue, pas les syndicats, mais le peuple. Il y a une même volonté de changer les choses, une vraie indignation et le même ras le bol, et c’est universel puisque ça va au-delà des frontières.
Cette conscience altermondialiste t’est venue d’où ?
Je sais pas, c’est ma sensibilité à moi, depuis toute petite je vois bien que ça ne tourne pas rond. Après je suis d’origine argentine, donc quand il y a eu la crise j’ai voulu comprendre ce qu’il se passait là bas. Je ne me prétends rien du tout, je suis juste une humaine qui a envie de faire changer les choses. Altermondialiste ça veut tout et rien dire, c’est juste vouloir une autre mondialisation. Je n’ai pas toutes les étiquettes que les médias aiment bien me mettre. Je suis juste une humaine née sur une planète qui va mal et j’ai envie de faire ma part des choses. On voit les îlots de résistance, les jeunes qui prennent de la terre et qui vont faire leurs trucs. Mais tout est éphémère. Maintenant il faut construire sur du long terme, y’en a marre de se faire expulser tout le temps.
Victoria c’est toi ?
Non, Victoria ce n’est pas moi. Moi je suis née en France. Mais c’est une histoire qui existe, ça faisait longtemps que j’avais envie de parler de ce qui se passe en Argentine. J’ai voulu me mettre dans la peau d’une petite fille qui raconte ce qu’elle vit là-bas. Il y en a plein de petites Victoria, en Argentine et ailleurs.
« Fille du vent, parce que la vie est mouvement » c’est un thème qui revient souvent dans tes textes, quel est ton rapport au nomadisme actuel?
Moi je suis nomade, là j’ai l’impression d’être en prison vu que je suis en tournée. J’aime aller à la rencontre de l’autre, changer de journée tous les jours. C’est pas une question de moyens en fait, c’est une question d’audace. Moi j’ai fait l’Europe avec rien dans les poches. Je trouve que ça ouvre l’esprit, si tu restes dans ta routine tu finis blasé. C’est bien de partir à l’aventure, que ce soit par tradition comme les gens du voyage ou que ce soit culturel, techno j’sais pas quoi. Après les gens font comme ils veulent mais c’est sûr que ça me touche parce que je suis plus nomade que sédentaire.
Est-ce que tu penses qu’à ton niveau tu peux changer les choses ?
Je pense que je peux apporter ma pierre. La musique c’est un art invisible, ça modifie les émotions et les énergies des gens. Tu choisis l’énergie que tu veux partager, un matin tu peux te réveiller heureux et écouter une musique triste et là t’es en bad. Quand t’es jeune et paumé, rien qu’une chanson, à un moment clé de ta vie, ça peut t’envoyer dans le mur ou pas. Souvent, dans l’histoire de l’Homme, lors des changements, il y a eu des mouvements d’artistes qui ont impulsé une nouvelle énergie. Donc oui je crois que l’artiste a un rôle dans la société, et pas que mercantile.
C’est quoi ta plus grande fierté ?
Etre là huit ans après sans avoir renié aucun des mes principes et sans m’être pliée à tous les jeux médiatiques qu’il faut normalement faire. Malgré ça, le public est toujours là et la relation est solide.
Keny Arkana – Gens Pressés