HER
de Spike Jonze (Joaquin Phoenix, Amy Adams, Scarlett Johansson)
Les cinéastes venant du clip musical ne donnent pas que des bonnes choses.
Prometteurs à leurs débuts, certains ont déçu par la suite tel Tarsem Singh ou bien Michel Gondry. Du moins, si ils conservent leur patte visuelle, force est de constater qu’ils ont échoué dernièrement à convaincre, faute d’une narration efficace («BLANCHE-NEIGE» pour l’indien, «THE WE AND THE I» et «L’ECUME DES JOURS» pour le français).
Il y en a pourtant un, doué également mais plus discret, qui continue son p’tit bonhomme de chemin tout en prenant de sacrés risques : Spike Jonze.
Car oui, il faut l’être, sacrément culotté, de nos jours, pour proposer un film mettant en scène de grosses peluches bourrées d’humanité, censées faire peur aux enfants en effectuant des bonds gigantesques, confinées dans une île fantasmée. Echec aux box-office (mal vendu) mais sacrément jouissif que son «MAX ET LES MAXIMONSTRES» d’après Sendak.
Déjà, lors de la sortie de «DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH», Jonze montrait sa capacité à oeuvrer dans l’étrange.
Cette singularité nous la retrouvons avec «HER», disponible dans toutes les bonnes crémeries labélisées «art et essai».
Theodore Twombly (Joaquin Phenix), la trentaine, sensible, au caractère complexe, est inconsolable des suites d’une rupture difficile. Habitant un Los Angeles futuriste, il décide, pour combler son manque affectif, d’acheter un système d’exploitation ultra perfectionné – une intelligence artificielle – répondant au nom de Samantha (dont la voix est assurée par Scarlett Johansson) et dont il va tomber progressivement amoureux…
Un pitch assez casse-gueule à retranscrire sur une toile.
Pourtant nous atteignons au sublime.
Toute en délicatesse et d’une justesse confondante, le réalisateur d’«ADAPTATION» prend par la main le spectateur et l’invite à une expérience intimiste visuelle et auditive et ce dès les premières secondes.
Une foule de questionnement jaillit au fur et à mesure : «Mais ces décors, cette lumière naturelle, ce «héros» tourmenté, «BRAZIL» de Gilliam ? Douglas Sirk avec ces costumes certes intemporels mais légerement fifties ? Et cette phonation de Samantha, pendant féminin de HAL de «2001», Kubrick ?
Probablement.
Et pourtant, ça n’a pas vraiment d’importance pour savourer ces 2h06 tant l’intérêt est ailleurs.
Une des forces de «HER» est de ne rien asséner de façon péremptoire.
Les rôles féminins «réelles», campées par Amy Adams, Rooney Mara et Olivia Wilde, sont essentiels à la compréhension psychologique du personnage de Théodore. Toutes symbolisent une facette différente de la femme moderne.
On disait le petit frère de River, revenu après sa pseudo retraite, à bout de souffle, reproduisant volontiers un jeu compassé («THE MASTER», «THE IMMIGRANT»). Ici, il n’en est rien. Joaquin personnifie avec brio l’être humain moderne en proie à l’incommunicabilité avec son prochain, se plongeant dans le virtuel, alternative première à la désolation sentimentale (déjà active) menaçant notre société actuelle. Un mal en fin de compte pour un bien.
Rarement un couple aussi désincarné à l’écran que celui évoluant sous nos yeux n’aura été aussi crédible et émouvant (la scéne sur la plage, les adieux).
Chacun, en fonction de son vécu, prolixe ou non, y trouvera son compte et pourra espérer, si ce n’est déjà le cas, à un avenir meilleur où dès lors il renaîtra tel le Phoenix.
WRONG COPS
de Quentin Dupieux (Mark Burnham, Eric Judor, Steve Little)
Après avoir professé moults louanges ci-dessus, préparez-vous maintenant à un choc thermique.
Los Angeles (encore). Aujourd’hui. Duke (Mark Burnham), flic, un ripoux de première passe son temps à dealer de l’herbe cousue dans le ventre de rats morts. Imbu de sa personne, il aime venir chez Rough (Eric Judor), son collègue borgne, compositeur médiocre de musique techno persuadé de devenir star. Leurs collégues, tendance cintrés, ne sont pas en reste : De Luca est un obsédé sexuel ventripotent, Sunshine cherche désespérément un trésor dans son jardin et Holmes, la touche féminine, vendrait père et mère pour quelques billets. Tous vont se croiser au cours d’une enquête mêlant chantage et cadavre enfermé revenant à la vie dans un coffre de voiture…
Au départ, il s’agissait d’un court-métrage d’une dizaine de minutes avec déjà Duke arrêtant contre son gré un passant interprêté par Marilyn Manson. Puis Dupieux décida d’en faire un long divisé en plusieurs chapitres.
Autant «NONFILM», son moyen-métrage datant de 2002, façon documentaire, était frais sur les affres d’un comédien ne comprenant pas ce qu’on lui demande de faire, «STEAK» avec le duo Eric et Ramzy dont le premier devint un habitué de son univers, était réussi, autant par la suite, Mr Oizo ne cessa de prendre une pente ascendante.
Que ce soit le pneu tueur télépathe de «RUBBER», la quête d’un chien dans «WRONG» ou bien celui-ci, pas grand chose de bien folichon à se mettre sous la dent. Avoir de bonnes idées de scénars au départ ne suffisent pas surtout lorsque le principal intéressé déclare pratiquer le septième art en dilettante, comme pour se dédouaner.
Même en étant un génie (ce qui est très loin d’être le cas), cela n’empêche pas d’être un minimum consciencieux.
Prenez Welles ou bien Hitchcock (des authentiques eux !).
Gags non drôles, empilement de saynêtes sans intérêt mais le tout réalisé «branché» pour plaire aux journaux style « Inrocks » qui sont tellement cooools.
A fuir.
3 DAYS TO KILL
de McG (Kevin Costner, Amber Heard, Connie Nielsen)
Agent secret légendaire, Ethan Renner, gravement malade, décide de renoncer à sa vie tumultueuse pour se rapprocher enfin de sa famille. Mais la promesse d’un traitement qui lui sauverait la vie en échange d’une ultime mission – mettre hors d’état de nuire un dangereux terroriste – va le pousser à accepter tout en s’occupant pour la première fois de sa progéniture adolescente…
Produit et écrit, comme à l’habitude, avec les pieds par Luc Besson, donnant la vedette à Kevin Costner qui cherche depuis des lustres un second souffle, voici un produit typique «Europa Corp» : une trame qu’on recycle (la relation père/fille déjà utilisée en mieux dans «TAKEN»), avec des explosions partout qui pétent quand il faut, des combats à mains nues efficaces mais assurant le minimum syndical, une actrice censée excitée son monde (Amber Heard qui depuis le formidable «TOUS LES GARCONS AIMENT MANDY LANE» se fourvoie dans ses choix) jouant l’amazone de service et malheureusement, les éternels traits d’humour (ou devant être assimilés tel quel) dûs au papa du «CINQUIEME ELEMENT» comme la volonté lourdingue de Costner que sa descendance utilise une bicyclette qu’il lui a achetée mais dont elle ne veut pas. Du coup, c’est lui qui se balade avec.
Avec tout ça, l’inégal McG (l’amusant «CHARLIE ET SES DROLES DE DAMES», le raté «TERMINATOR RENAISSANCE») fait ce qu’il peut pour rendre la pilule plus digeste.
En vain.
Le DVD de la semaine : «ARRÊTEZ LES TAMBOURS»
de Georges Lautner / L.C.J
Le 22 novembre dernier, Georges Lautner tirait sa révérence, s’en allant retrouver Ventura, Francis Blanche et les autres festoyer autour d’une grande table dans une petite cuisine.
J’avais eu la chance de le fréquenter un tout petit peu, il y a une dizaine d’années et nous avions parlé notamment au cours d’une longue soirée des «YEUX SANS VISAGE» de Franju qu’il adorait et évidemment de ses films à lui plus confidentiels que «LES TONTONS FLINGUEURS» comme «GALIA».
Gros pourvoyeur de succès populaires de qualité que l’on connait tous par coeur, il eût cependant un début de carrière moins connu, tout aussi passionnant, dans un registre plus dramatique.
Dispo chez L.C.J, dont je vous reparlerai, procurez-vous absolument «ARRÊTEZ LES TAMBOURS» de 1961.
Juste avant le débarquement allié, en 44, à Courdimanche, petit village du Cavaldos , le docteur Leproux (Bernard Blier), également maire, humaniste au grand coeur, aide les maquisards mais est également en très bon terme avec le médecin de la garnison allemande. Un soir, un avion anglais est abattu. s’écrase. Le pilote blessé cherche de l’aide mais tous les villageois refusent de l’aider par crainte de représailles. Il trouve refuge chez Leproux…
Dans un joli noir et blanc contrasté, sur une musique poétique de Georges Delerue, nous est dévoilée une tragédie humaine bouleversante zébrée ça et là de trouvailles intéressantes comme l’évolution d’un personnage de prostituée et portée par un Blier (éternel complice de Lautner) dans une de ses performances les plus abouties, imposant une gravité sur sa bonhomie naturelle. Il est entouré par un casting hétéroclite qu’on prend plaisir à regarder : Lutz Gabor, comme souvent en nazi, Jacques Marin et Henri Virlojeux, savoureux en français râleurs, Paulette Dubost en veuve et même Pierre Barouh, poussant comme il se doit la chansonnette.
Dur, amer, réaliste, voici un quasi chef-d’oeuvre à découvrir, au final déchirant.
Déjà deux ans auparavant, le terrible «LA SENTENCE» de Jean Valère, montrait le côté sordide de la France Occupée via les dernières heures d’un groupe de résistants arrêtés par les SS.
La Nouvelle-Vague mis souvent en avant la qualité médiocre du cinéma français d’après-guerre pour arriver au pouvoir.
Il existe nombre d’exceptions qui infirment ce constat.
En voici une, superbe.